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curiosité était excitée jusqu’à la souffrance. Sans le vouloir, sans le savoir, j’épiai Berthe sur la scène, dans les couloirs, dans sa loge, partout. Tout ce que j’avais cru voir, les serrements de main, les billets, les baisers, tout cela était vrai. Je voulus la mépriser ; mais en regardant ses yeux limpides, pleins d’innocence, cela m’était impossible, et au contraire je me liai de plus en plus avec elle. Enfin, enragée de savoir, je me livrai à ces petites finesses bêtes qui réussissent toujours. — Je disais à L…, notre premier rôle : — Vous aimez le violet, à ce qu’il paraît ? — Oui, pourquoi cela ? — C’est que Berthe vous attendait, m’a-t-elle dit, et elle avait mis un peignoir à petites fleurs pensée ! — Eh bien, répondait-il, c’est vrai, puisqu’elle vous l’a dit ! — Et moi j’étais stupéfaite, car l’expérience répétée dix fois à propos de la même soirée réussissait toujours de même, et Berthe avait toujours eu, ce même soir-là, le peignoir safran et le peignoir rose, et le bleu ciel, et le vert d’eau, et le lilas tendre, et des fleurettes de toutes les couleurs de fleurettes !

» Quand je fus tout à fait son amie, il fallut parler, car cela m’étouffait. Permets-moi, lui dis-je, une question qui va sans doute nous brouiller, mais je t’aime tant, belle et bonne comme tu es, que je ne puis me résigner plus longtemps à douter de toi. — Douter de moi ? fit-elle avec un air réellement attristé. T’ai-je donné une occasion de me croire égoïste ; et t’es-tu quelquefois adressée à ma complaisance ou à ma pitié pour les malheureux sans obtenir ce que tu désirais ? — Non pas, murmurai-je, un peu honteuse déjà de ma vilaine action, mais je voudrais comprendre…. dans quels rapports tu es avec nos camarades ? — Mais, dans les rapports les meilleurs et les plus simples. — Mais, dis-je,