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qui fût digne de moi. Hélas ! Jacqueline, il aimait ton Émérance comme sa sœur — et comme son enfant ; il m’apprenait à penser, il me redonnait la force de lever les yeux au ciel. Pour sa figure, pour son esprit, je ne t’en parlerai pas ; il m’avait apporté toute son âme, je pouvais à mon gré la fouler sous mes pieds dédaigneux ou la réchauffer sous mes lèvres. Comment je l’ai quitté, lui, lui à qui je m’étais vraiment donnée, c’est une histoire qui te ferait lever le cœur. Ma mère a joué, avec mon consentement, l’éternelle et honteuse comédie que tu connais, et… elle ne m’a plus quittée dans les coulisses ! Je suis partie sans qu’il ait pu me dire un mot, et moi, que lui aurais-je répondu ? Ô ciel ! quel mensonge aurais-je osé ajouter à tous mes mensonges ? Ami déjà tant pleuré et que je n’ai pas même le droit de pleurer ! Maintenant, je pense, avec mille remords, qu’il peut ne pas se consoler, et j’ai une idée plus douloureuse encore : je songe qu’il peut se consoler et m’oublier, comme ce serait justice !

» Imagine ce que nous sommes l’une et l’autre, ma mère et moi, et ce que j’éprouve quand elle me dit comme à un enfant : « Tenez-vous droite ! » À présent je dois être un monstre à tes yeux, mais ne fallait-il pas que tu me visses telle que je suis pour m’aimer un peu encore, malgré tout, afin qu’il me reste au monde une affection que je n’aie pas volée ?

» Quant à ma mère, mon rôle d’ingénue à la ville lui imposait l’obligation de me parler toujours sévèrement, comme à une petite fille élevée à la mode anglaise, et elle a pris le sien assez au sérieux pour me tracasser encore les portes fermées, et comme si elle croyait réellement ce que tout le monde croit. Ce que je subis de tourments est inénarrable, et moi, dont le passé cache