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porter sa marchandise comme une marchande de casquettes va porter ses casquettes ! Et encore, il ne faut pas fâcher madame Pl…, qui n’est pas commode tous les jours. « Ah ! quelle vie ! j’aime mieux reporter le lait à maman ! »

Ah bien oui ! reporter le lait ! Elle est à Londres, elle est à Nice, elle est à Spa, elle est à Bade, elle monte à cheval, elle va au bal de souscription avec les vraies dames, elle est dame patronnesse, — dame patronnesse pour l’exportation, en province ; elle boit du champagne, elle mange de l’argent, elle mange de l’or, elle prête des patrons de robe aux grandes dames de l’étranger ; elle s’amuse, elle s’amuse mortellement ; oh ! comme elle s’ennuie ! Avec qui vivre, à qui parler, où verser le trop plein de ce cœur qui est resté jeune et naïf et qui l’étouffé ? La voilà bien revenue à Paris et la laitière n’est pas loin ; mais quoi ! le décor a encore changé. À présent c’est le vrai bronze, le vrai Boule, les vrais grands seigneurs, les vrais princes, la diplomatie, les ducs à duchés. Ô solitude, solitude, amère solitude ! — Puis le décor est devenu tout à fait beau : voici les soies de la Chine, les meubles en laque d’or, un Raphaël ; Lucile n’a plus d’amis, même dans le grand monde, elle a suivi les conseils de Juliette, elle a compris la vie, elle n’a plus de préjugés aristocratiques, on est toujours reçu chez elle, pourvu qu’on soit gentleman et qu’on se présente bien, avec un faux-col. « N’oubliez pas le faux-col, » dit Iago. Les amants ? elle en a essayé : toujours la même chose, des âmes basses, des gens qui vous méprisent, qui vous trompent et qu’il faut tromper toute la vie pour ne pas avoir le temps de les regarder et de les prendre en dégoût ! Un soir, par hasard, Lucile voit jouer La Dame aux Camélias ou L’Aventurière ; elle rentre