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Sachez seulement que je trouverais de très-mauvais goût de votre part de ne pas fourrer l’argenterie dans vos poches, et que moins on en retrouvera sur la table, plus je garderai de vous un agréable souvenir.

À cette apostrophe un peu directe, deux ou trois des convives rougirent d’avoir été deviné, mais ce ne fut qu’un nuage. Ceux qui ne s’étaient pas mis à l’aise jusque-là se rattrapèrent, et mademoiselle Régine en profita pour s’écrier :

— Ah ! mon Dieu ! je m’aperçois que je suis venue sans bouquet, et je vais au bal !

Lord Sidney, qui comprenait à demi-mot, lui fit apporter par Tobie le prestigieux bouquet de diamants et de pierreries, et lui dit avec un sans-façon digne de Richelieu : Excusez-moi si je vous le donne, mais j’ai si peu de temps à moi !

— Maintenant, dit-il en se tournant vers ses convives, remplissez les coupes, M. Tobie, et buvons une dernière fois aux dieux inconnus ! Mademoiselle Régine voudra bien décerner le prix pour moi, car je me sens plein de perplexité entre tant de métiers excellents !

— Pardon, milord, murmura timidement le jeune homme de dix-huit ans, mais je n’ai pas encore parlé.

Les convives regardèrent avec dédain ce faible athlète.

— Eh quoi, lui dit lord Sidney avec un étonnement profond, exerceriez-vous à votre âge une industrie plus extraordinaire que les professions excentriques de ces messieurs ? Mais alors quel démon peut l’avoir inventée ?

— Milord, articula le jeune homme d’une voix douce, mais ferme, je suis poète lyrique et je vis de mon état.