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turbable aplomb d’une courtisane. Elle sourit dédaigneusement de nos accusations, refusa tout à fait de s’expliquer, et nous ferma la bouche avec de détestables lieux-communs qui ne se donnaient pas la peine d’être adroits. Puis, elle sortit majestueusement, en poussant une porte à deux battants avec un beau geste tragique, nous laissant tous les deux irrités et confus comme des coupables.

Eh bien ! le crois-tu, après avoir laissé, tous les deux ensemble, dans cette maison, notre bonheur déchiré en lambeaux sous les pieds de la même femme, nous eûmes tous deux la lâcheté… oh ! qu’il faut de courage ! la lâcheté de retourner, chacun en nous cachant, chez cette femme tant aimée, et de l’aimer comme auparavant ! Mais nous nous redoutions comme deux complices, et le regard de l’un faisait rougir l’autre comme un gant jeté à la face ! Enfin, je résolus de m’arracher décidément à cette horrible vie, dans laquelle je me sentais devenir envieux et lâche. Je cessai de voir Sylvanie ; je ne décachetai aucune de ses lettres ; toutes ses instances furent vaines. De peur de succomber, j’ai suivi ma mère ici ; et c’est ici, seul avec moi-même, que j’ai senti quelle place éternelle cet amour a prise dans mon cœur. C’est ici que j’ai rassemblé tout mon courage pour tâcher de l’étouffer à jamais, et qu’à la suite de cette lutte si inutile, hélas ! je suis tombé dans la prostration où tu me vois ! Ennui si implacable et si profond que je n’y trouve d’autre remède que la mort ! Et ma mère ?

Raoul se tut. Et les deux amis gardèrent un long silence, et tous deux pensèrent longtemps à cette triste histoire si vide d’événements, mais si pleine d’émotions. Enfin, Julien voulut engager Raoul à prendre un peu de