Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous étions liés en quelques heures ; notre rivalité nous sépara pour toujours.

Madame de Lillers me disait qu’elle devait souffrir les assiduités de M. de Bressoles pour mieux cacher notre amour. J’ai su plus tard qu’elle se servait d’une raison semblable pour expliquer à M. de Bressoles la nécessité de ma présence chez elle. Tous les deux nous cherchions une certitude, nous n’osions aborder une explication, et nous nous observions comme deux ennemis involontaires qui regrettent de ne pouvoir s’aimer. Enfin, un matin que je sortais de l’hôtel de Lillers par la petite porte des jardins (le soleil se levait, l’air était embaumé et les oiseaux chantaient délicieusement dans les branches), je vis appuyé contre un mur, pâle, échevelé, Armand de Bressoles, qui avait attendu là toute une nuit pour voir ce qu’il voyait. Nous allâmes chercher deux amis communs que nous trouvâmes encore couchés, et nous nous rendîmes en fiacre au bois de Vincennes. Armand était si navré déjà, si tremblant, qu’il pouvait à peine tenir son épée. Aux premières passes, je l’atteignis au-dessus du sein gauche, et il tomba. Oh ! c’est alors que je frissonnai d’horreur en voyant le linge ensanglanté, les lèvres blanches, les doigts crispés de ce jeune homme si beau, qui gisait là, par terre, comme un lys coupé par une faucille.

Dès qu’Armand fut rétabli, nous nous présentâmes ensemble chez madame de Lillers. Nous avions eu l’affreux courage de lire tous deux ensemble, à haute voix, les lettres qu’elle nous avait écrites à tous deux. Nous nous attendions à des cris, à des pleurs, à d’incroyables feintes dont notre ressentiment déjouerait l’habileté.

Sylvanie nous reçut en reine offensée, froidement, dignement, avec l’air candide d’une vierge et l’imper-