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tendresse et de mélancolie sur Raoul de Créhange, son fils, beau jeune homme de dix-huit ans à peine, qui, assis les bras nus devant un petit piano moderne, promenait avec distraction ses doigts sur le clavier, et semblait trahir ses pensées intimes par des mélodies confuses et inachevées. On voyait que madame de Créhange avait dû être d’une beauté parfaite. Elle était brune ; ses traits fins et arrêtés, ses cheveux abondants, ses grands cils, sa lèvre supérieure légèrement estompée, sa bouche rouge comme une fleur, ses dents blanches, et deux ou trois signes noirs jetés au hasard sur ses joues comme les mouches du XVIIIe siècle, tout en elle contribuait à répandre ce charme infini qui émane des femmes brunes, quand l’expression de leur visage n’est pas trop dure ou trop sensuelle. On ne pouvait pas même reprocher à cet ensemble harmonieux le léger embonpoint amené par l’âge ; car il aidait encore à faire ressortir, par une heureuse opposition, les extrémités finement attachées et la grâce calme des mouvements.

Raoul de Créhange était le portrait exact de sa mère, que cette ressemblance rendait justement orgueilleuse. Seulement, la bouche de Raoul avait les extrémités plus spirituelles, ses yeux jetaient plus de flammes, son front était plus large et plus développé, et ses cheveux épars étaient de cette belle nuance d’un blond foncé que tous les peuples nous envient.

Fille unique et dernière héritière d’une famille riche et noble, mademoiselle Noémi de Geffré avait épousé à quinze ans, par amour, un jeune homme beau, riche et noble comme elle. Deux ans après, aux plus belles heures de cette union charmante, M. de Créhange était mort, enlevé tout à coup par une maladie cruelle. Désormais inconsolable, madame de Créhange avait concentré