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l’abîme ! » à la lueur des flammes qui sortaient du parquet pour répondre à cet audacieux blasphème, il aperçut entre deux portants Minette, qui, les bras pendants, le col tendu, le regardait fixement, avec une expression à laquelle ne pouvait pas se tromper un homme déjà vieux dans la débauche. En même temps, il entendit la toux déchirante de l’enfant, et vit distinctement une grosse larme couler sur sa joue aux transparences de nacre.

Tout rompu aux planches qu’il était, Couturier oublia son rôle pendant deux secondes, et ne put retenir un mouvement de joie. Oh ! se dit-il, cette enfant me sauve. Et il savoura d’avance les jouissances d’orgueil qu’il aurait à effeuiller la pâle couronne de cette blanche fiancée et à s’enivrer des adorations de cette mourante qui ne devait aimer personne après lui. Mais il était trop habile en ces matières pour ne pas se figurer qu’il devait employer les précautions les plus minutieuses, tant pour ne pas effrayer l’innocence de Minette que pour ne pas éveiller les soupçons d’Adolphina et de Capitaine. D’ailleurs, comme tous les hommes qui n’éprouvent absolument rien, il était admirablement apte à jouer le rôle d’un amoureux platonique et à s’accouder dans des poses à effet. Il pouvait d’autant mieux « contenir les élans de son cœur » que, tout déchu qu’il était, il avait encore su conserver deux ou trois maîtresses.

Jamais jeune homme de seize ans, amoureux de sa cousine, ne ramassa mieux les fleurs fanées et ne tressaillit en frôlant une robe de soie plus naturellement que ne le faisait Couturier, et ces plates comédies rendaient Minette folle de joie, car pour elle c’était l’amour même. Comme tous les roués, le comédien ignorait une seule chose : la passion vraie, et par conséquent il n’au-