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Une fois notre éducation faite, nous ne nous rappelons pas assez les peines qu’on s’est données pour séparer dans notre esprit le merveilleux du réel ; nous oublions tout ce qu’il a fallu d’études, de raisonnements et d’expériences pour détruire en nous cette confusion qui enivre les âmes naïves. De même que nous ne naissons pas avec le sentiment des distances, et que l’expérience, la comparaison et le secours des sens nous apprennent seuls que tous les objets que nous pouvons apercevoir ne sont pas à la portée de notre main ; de même aussi il nous faut tout un enseignement pour apprendre où finit l’ordre matériel des choses et où commence la vie surnaturelle ; et encore les âmes et les hommes de génie ne le savent-ils jamais bien.

Pour la petite Minette, à qui rien n’avait été appris, elle voyait bien chaque jour s’arrêter à la même heure ce qui lui semblait être l’existence vraie, mais elle n’y croyait pas moins pour cela ; même dépouillés de leur costume, les personnages de la féerie gardèrent toujours pour elle leur puissance, et, même vus dans leur réalité hideuse, les machines, les trappes, les cordages furent toujours pour elle les éléments d’enchantements formidables. Il y avait alors au théâtre de la Gaîté un machiniste nommé Simon, très-brave homme tout chargé de famille, exact à remplir ses devoirs, à qui la nature s’était plu à donner, par un jeu singulier, le physique rébarbatif des diables qui sortent des boîtes à surprise. Malgré tous les éloges que la petite Minette avait entendu faire de ce père excellent, et quoiqu’il lui témoignât une profonde douceur, elle le regardait comme un démon venu de l’enfer, et rien ne put la rassurer à ce sujet. En voyant le visage rouge de l’honnête Simon, ses yeux sanguinolents, ses sourcils terribles, et la crinière