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non pas dans sa conversation, comme le vulgaire, mais, à la façon des grands hommes, dans sa vie. Négligent comme un bohémien et paresseux comme un poëte, tout à coup on le voyait se faire faire quatre habits complets et écrire des volumes de roman ; et il laissait le tout dans ses tiroirs. Il faisait la cour aux femmes, tantôt avec la timidité de Chérubin, tantôt avec la hardiesse de don Juan, toujours avec la persistance de Lovelace ; mais il oubliait ordinairement d’aller chez ses maîtresses le jour où elles se proposaient de n’avoir plus rien à lui refuser.

À toutes ces originalités, Louis en joignait une plus grande encore, sous forme d’opinion philosophique. Il était persuadé que la responsabilité personnelle étant la source de tous les maux humains, il n’y a ici-bas que deux bons états, l’état de femme et l’état de domestique. Ne pouvant absolument devenir femme, il poursuivait le rêve de se faire valet.

— Ah ! mon cher Léon, me disait-il souvent, le bonheur est là. Quel jour endosserai-je enfin cette livrée, qui est la liberté, l’indépendance, l’oisiveté, la rêverie, l’oubli du bien et du mal !

J’étais tellement habitué à ces boutades, que je n’y faisais plus guère attention. Un matin, je vis Jodelet entrer chez moi transfiguré.

— Enfin, s’écria-t-il, j’en ai fini ! J’ai eu le courage d’être heureux ! Oui, mon cher, ma dernière pièce de cinq francs avait vécu, je suis allé dans un bureau de placement, et tu vois en moi le valet de chambre de M. Bischoffsheim, riche banquier, comme on dit au théâtre.

Sans vouloir rien écouter, j’emmenai Louis. Nous montâmes dans un cabriolet et nous courûmes au bureau de placement où je dégageai, malgré lui, la parole de ce