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sous ses diamants, qui sont des larmes de désespoir cristallisées.

Il y a une haine qui dure depuis cinq mille ans, un duel terrible. Toute enfant, rose et blonde, couchée dans son berceau, quand la petite fille pauvre va sourire à sa mère, elle aperçoit debout sur le seuil un maigre fantôme, et elle crie, malgré les caresses de sa mère.

Puis elle grandit ; comme les oiseaux, elle envoie au ciel sa jeune chanson. Elle se regarde dans un bout de miroir cassé : elle est belle.

Elle voit aux vitrines des peignes d’écaille blonde, et elle se dit : « Voilà qui peignera bien ma chevelure de soleil et d’or ; voilà pour en attacher les nœuds, les boucles ruisselantes et les torsades effrénées. »

Elle voit de riches étoffes. « Voilà, dit-elle, pour parer mon corps gracieux et souple. »

Elle voit chez le marchand de comestibles des forêts d’asperges plus grosses que des cèdres, des perdreaux désespérément truffés, des fraises rougissantes et parfumées. Elle dit : « Voilà ce que j’aimerai à déchiqueter et ce que je croquerai bien avec mes dents blanches ! » Et elle dit en regardant les flacons : « Je remplirai mon verre de ces vins d’écarlate, et, levant mes bras, je boirai à la jeunesse amoureuse ! »

Mais le fantôme ne l’a pas quittée. Il lui tend un morceau de pain de munition, un verre d’eau trouble et un sayon de toile rapiécé. Il murmure à son oreille : « Tu es à moi. Voici ton festin et voici ta robe. » Ah ! quelle moue fait à ce coup-là la petite demoiselle !

Mais quoi ! on l’instruit bien vite et elle apprend les nouvelles ! Elle entend dire que, moyennant quelques concessions, des personnes obligeantes vous logent dans des appartements si bien tendus de soie, et matelassés,