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porter ; mais s’il est vrai que vous ayez trouvé à mes tableaux un mérite au-dessus du vulgaire, vous ne perdrez pas complètement cet argent. Il y a encore un peintre en moi, quoique tout le monde l’ignore ; vous aurez donc un tableau. Il représente, sous sa figure de déesse, ma bien-aimée Aglaé, dont j’ai peint l’apothéose en plein ciel, où les génies l’adorent dans un jardin de délices fleuri et rayonnant, parmi le chœur émerveillé des étoiles. J’ai voulu assurer une immortalité glorieuse à celle qui a été mon ange sur cette terre de misère. J’espère, Monsieur, que cette vision, réalisée dans un moment d’inspiration fortifiante, ne vous déplaira pas, et que la possession de la seule toile où j’ai pu faire vivre mon âme compensera un peu le grand sacrifice que je vous demande. C’est le vœu ardent et réellement sincère de

« Votre très-humble, très-reconnaissant et très-dévoué serviteur,
« Pierre Margueritte. »

— Et, dis-je à Vandevelle, vous croyez au tableau ?

— Ma foi, fit-il, je ne sais que croire ; mais en tout cas, s’il existe, je ne le perdrai pas par avarice et faute de m’être exposé à sacrifier deux mille francs. Par malheur, sa description naïve donne l’idée d’un décor du spectacle de Séraphin, et, en supposant que tout ceci ne soit pas rêverie pure, j’ai bien peur que le pauvre Margueritte n’ait peint qu’une enseigne pour les baraque de la foire. Enfin, je jouerai sur cette carte ! D’ailleurs, les deux mille francs dussent-ils lui être offerts comme un présent, je les porterai encore au pauvre Margueritte. Je veux qu’il meure en paix et qu’il puisse satisfaire son dernier désir. Si les pauvres gens qui périssent dans un