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comme aujourd’hui le buste de Céliane ; pour elle, son amant avait deviné la statuaire comme la poésie, car il la chantait en des sonnets d’une superbe allure ! Sur les tables on voyait des bois commencés pour les éditeurs ; Margueritte avait entrepris des illustrations de La Fontaine et de Shakspeare, rien ne l’effrayait, il se serait chargé, si on avait voulu, de sertir les étoiles. À l’ouverture du salon de 1839, Margueritte, la veille obscur et inutile, était pour tout le monde un grand artiste ; la presse l’avait salué comme un maître, la foule le portait aux nues, les commandes pleuvaient chez lui dru comme grêle, et il était insulté dans les petits journaux. Mais il ne jouit pas de ce triomphe, ou plutôt il n’en eut même pas conscience, car il avait en ce moment-là bien d’autres affaires en tête. Céliane lui jouait ce drame, si banal à Paris, qui, pourtant, se joue et se raconte encore, de la maîtresse adorée qui vous trompe avec tous les passants de la rue, et qui revient à la maison deux ou trois fois par semaine, pour s’écrier avec des pleurs de crocodile : « Pardonne-moi, c’est toi seul que j’aime ! » Tandis qu’on parlait de lui dans tous les salons et que son nom défrayait les chroniques, l’amant de Céliane passait ses heures à interroger des commissionnaires, à se mettre en embuscade dans des allées de maisons suspectes et à suivre à pied des fiacres. Enfin, quand sa maîtresse eut disparu tout à fait, Margueritte, à bout de souffrances, tomba dans une indifférence complète ; on le rencontrait avec une barbe longue, avec une chemise de quinze jours, roulant son éternelle cigarette. Son mobilier s’en était allé comme il était venu ; quant au travail, il n’en voulait plus entendre parler. M. Silveira, qui avait acheté l’Hélène enfant, inventa des subterfuges impossibles pour forcer son peintre à reprendre les pin-