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n’auriez pas trouvé un autre homme comme lui pour vous décrire pierre par pierre, après avoir bu quelques verres de punch, Babylone ou Palmyre, ou toute autre cité détruite depuis des milliers d’années. En temps ordinaire, et non animé par la conversation, il se montrait ignorant comme un danseur, et indifférent sur les affaires du temps au point de ne pas connaître le nom d’un seul des souverains de l’Europe. Mais le caractère distinctif de sa personnalité était surtout une paresse à toute épreuve et poussée jusqu’au paradoxe. Pauvre comme Job, il ne se serait pas baissé pour ramasser un billet de mille francs, et il n’aurait pas fait cinquante lieues en chemin de fer pour aller chercher une fortune. Il était peintre, ou passait pour un peintre, uniquement parce qu’il avait adopté le mot de « peintre » comme représentatif de la profession qu’il était censé exercer, car il ne peignait et même ne faisait absolument rien sur la terre, où il aurait semblé jouer un rôle tout à fait analogue à celui du lys de l’Écriture, si le délabrement excessif de sa toilette n’eût repoussé toute comparaison entre lui et la fleur plus splendidement vêtue que le roi Salomon. Il habitait, rue de Tournon, une grande chambre donnant sur des jardins ; mais on aurait vainement cherché dans ce galetas une chaise ou un chevalet ou une carafe. Un matelas posé à même sur le carreau, et sur lequel une couverture en lambeaux et des draps sales formaient un hideux fouillis, plus une masse de bouquins et quelques gravures souillées et déchirées, le tout épars sur le carreau, tel était son mobilier. Quelquefois, cinq ou six fois par an peut-être, Pierre Margueritte ébauchait à la sanguine une tête de femme très-purement dessinée, ou, sur quelque planche volée au hasard, brossait un tableau de fleurs, ne représentant aucunement des fleurs, mais of-