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Ce récit pourrait tenir en trois mots, il ne contient que des incidents vulgaires, mais il montre une fois de plus ce qu’il y a d’infirmité dans les génies incomplets, où la faculté créatrice ne règne pas absolument comme une reine tyrannique !

— Je vois, répondis-je, où vous voulez en venir. La muse est justement la plus jalouse, la plus exclusive, la plus intolérante des maîtresses, elle ne veut pas des cœurs qui ne lui appartiennent pas tout entiers ; n’est-ce pas là ce qui fait sa grandeur ? Le don de concevoir et de traduire le beau est incompatible avec toute passion humaine, car toute chose humaine est imparfaite, et les objets de nos désirs nous attirent par leurs imperfections même ; c’est pourquoi notre âme perd dans ces vains attachements le pouvoir de s’élever jusqu’à la beauté immortelle, qui ne souffre aucun contact avec la chair ! Je suppose que votre artiste aura aimé une femme plus qu’il ne convient aux amants de celle qui est la source de tout rhythme et de toute grâce ! Mais faites-moi vite ce triste récit ; j’ai hâte de savoir comment celui qui s’élevait à l’azur d’un vol si furieux a pu voir fondre si vite la cire de ses pauvres ailes.

— Nul mieux que moi ne peut vous renseigner à ce sujet, mais je désire qu’auparavant vous ayez vu les autres ouvrages du même peintre.

— Ah ! dis-je avec étonnement, il existe des tableaux de lui ! Mais alors il est impossible qu’il ne soit pas célèbre !

— Il existe de lui trois tableaux, qui sont tous les trois réunis à Versailles dans la collection de M. Silveira, un de mes bons amis et de plus mon rival le plus acharné, comme vous le savez peut-être. Ce n’est pas ma faute s’il les possède, mais il n’a voulu entendre à aucun arran-