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m’enlever, et qui mettrait bien vite à néant votre tranquillité parfaite ?

— Laissez-moi, répondis-je exaspéré, Murillo n’existe pas !

— À la bonne heure, fit Vandevelle en souriant et en dépouillant tout à fait le visage gourmé de collectionneur de tableaux pour reprendre sa vraie physionomie d’homme d’esprit. Puisqu’il en est ainsi, parlons donc de ma tête d’enfant et d’elle seule ; restons en plein Cantique des cantiques, puisqu’il ne vous reste pas d’yeux et d’oreilles pour autre chose.

— Oh ! m’écriai-je, le peintre avait vingt ans, est-il besoin de le demander ? Voilà de ces éclairs de génie comme on en a dans la première jeunesse, alors que nous portons encore dans nos prunelles le rayonnement des paradis parcourus pendant les existences antérieures. Il était amoureux, il était aimé, le grand cri des poëtes emportait son âme dans les étoiles, l’admiration des maîtres le transportait d’une fureur impatiente. À ce moment-là, pas une larme humaine qu’il ne voulût enchâsser comme une perle dans les ciselures les plus précieuses, pas une rose nouvellement fleurie qui ne lui arrachât des pleurs d’attendrissement ! Hélas ! aujourd’hui, j’en suis sûr, il est ventru, chauve, membre de l’Institut, revenu de toutes les illusions, et il peint des batailles de Malakoff grandes comme un salon de quarante couverts !

— Non, me dit Vandevelle, son histoire est aussi commune que celle-là, aussi peu extraordinaire, et cependant elle mérite d’être racontée, car il n’est jamais sans intérêt de savoir par quels chemins un artiste a passé pour arriver à ces souveraines exaltations ou à ces chutes profondes qui sont au bout des plus belles vies.