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pureté et que ne font pas battre les désirs terrestres.

— Mais, dit madame de Klérian effrayée, quelle est votre vie ? Pourtant, vous avez aimé ?

— Mille fois ! mille fois ! s’écria Céline Zorès avec enthousiasme. J’ai aimé d’abord tous ceux qui m’ont donné la vie quand ce corps sommeillait encore dans l’infini, Hésiode, Cléomène, Euphranor, Albert Durer qui a gravé ma puissante mélancolie, Michel-Ange pour qui j’ai été la Nuit immense et farouche, Rubens qui m’a enivrée de lumière pourprée et transparente, Henri Heine qui m’a vue en Hérodiade capricieuse, portant sur un plat d’or, au milieu des chemins, la tête pâle de saint Jean-Baptiste ! J’ai aimé, j’aime encore tous ceux en qui je devine une parcelle de génie ; car savez-vous quelle est ma seule, mon ardente passion ? J’ai le désir effréné d’échapper à la mort, et l’Art seul peut m’accorder cette joie, car la nature succomberait à vouloir reproduire mes traits immortels. Peintres, graveurs, poëtes, les artistes en qui s’agite une étincelle du feu sacré m’ont tous trouvée sur leur chemin ; j’ai été leur conscience, leur inspiration visible, la génératrice de leurs idées confuses. À celui-ci, j’ai révélé Ophélie et Juliette éplorée dans son tombeau ; à celui-là, Marguerite aimante et simple dont il emporte dans la mort la chaste figure. C’est moi que tous les poëtes ont célébrée et qui ai fait renaître la lyre dans un âge où son nom même était oublié ; c’est moi que les nouveaux cygnes ont appelée Véronique, Elvire, Deidamia et Cécile ! C’est moi dont les traits gravés dans l’or respirent sur les médailles de ce temps ; c’est moi, que les sculpteurs ont couronnée de raisins sur les onyx et les agates qui passeront aux époques futures.

J’ai soulagé bien des misères, soutenu bien des défail-