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— Pourtant, répondit-elle avec impatience, vous êtes sa maîtresse.

— Madame, reprit Céline Zorès, je vous répète que vous ne devez pas être jalouse.

— Je le comprends, fit la belle Paule, en qui se réveilla tout l’orgueil de la race. Jalouse de quoi ? d’un amour que vous accordez à tous ceux qui ont modelé ou peint vos images ? de cette beauté qui n’a plus de secrets pour personne ?

— Regardez-moi, dit Céline avec une douceur ineffable. (Et, rejetant derrière elle des flots d’étoffes, elle se leva triomphante et comme épouvantée elle-même des perfections qu’elle montrait au jour.) Regardez-moi et regardez-vous. Votre beauté ne perd rien auprès de ma beauté, hélas ! divine ; car partout dans ce sourire, dans ces plis où niche la grâce, se révèlent les sentiments humains. Mais moi, ne remarquez-vous pas que l’idée même de l’amour jure avec mon visage implacable ; où l’amour pourrait-il se prendre dans cette perfection désespérée ?

Certes, si j’avais été assez heureuse pour connaître ses délicieuses faiblesses, je pourrais l’avouer la tête haute, car la honte suppose une sorte de déchéance, et comment pourrais-je déchoir ? Hélène enlevée à l’âge de treize ans par le vainqueur des Pallantides, ou Vénus aimant Adonis au fond des bois, vivent-elles dans notre mémoire comme des femmes méprisées et humiliées ? La parfaite beauté n’est-elle pas comme la neige, comme les étoiles, comme la clarté des sources que rien ne peut souiller et ternir ? Mais, hélas ! jamais une lèvre embrasée n’a effleuré mon front ; jamais la main d’un homme n’a touché mes doigts d’ivoire. Dans ma poitrine habite un cœur calme et héroïque dont rien ne trouble la