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que, impérieuse, quoique brisée par la souffrance. Celle-là était celle d’Hébé. Longtemps j’écoutai, me croyant sérieusement la proie d’un cauchemar ; je n’avais plus le sentiment de ma propre vie.

— Écoutez, fit la voix douce, voici les quatre billets de cent francs, et, réellement, c’est mon dernier mot. Voulez-vous signer ?

J’entendis le bruit de la plume sur le papier ; je devinai le geste avec lequel Hébé mettait ses griffes sur les billets de banque.

— Maintenant, cria-t-elle, va-t-en, bourreau ! Et je vis passer devant moi un jeune homme presque chauve, au front pensif et dévasté.

Je venais d’assister à la dernière torture d’Hébé Caristi, au marché par lequel elle vendait son cadavre à un jeune chirurgien déjà célèbre, dont l’âme est avide et implacable comme la Science.

Je tournai la clef et j’entrai. Je m’assis près du lit de sangle où agonisait celle qui avait senti ondoyer sur ses épaules le cachemire de la princesse Borghèse.

— Vous avez entendu ? murmura-t-elle faiblement.

Et, comme je lui répondais oui, en détournant les yeux : — N’est-ce pas, reprit-elle, que ce n’est pas un sacrilège ? N’est-ce pas que je ne suis pas coupable ? D’ailleurs, il me l’a dit lui-même : tout est permis dans l’intérêt de la science ! Mais, Martirio, écoutez, moi, je n’ai besoin de rien ni à présent, ni (ajouta-t-elle en ricanant) après ma mort. Un jour, je vous ai follement menacée d’une vieillesse pareille à la mienne. Depuis une heure je prie Dieu d’écarter de vous ce calice, et je vous bénis ; voulez-vous me pardonner ?

Je baisai pieusement le front de la pauvre victime qui avait eu le bonheur de souffrir de telles expiations, et je