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cassées.Elle arriva, mais n’ayant plus figure humaine, sentant le froid dans ses os et enveloppée dans un noir linceul d’horreur.

À peine fut-elle descendue de l’échelle, on s’empressa pour la soigner, pour la consoler, pour s’informer des indicibles terreurs qu’elle avait dû subir. Il s’agissait bien de cela ! Hébé Caristi était déjà à la caisse et réclamait ses cinq cents francs, comme une tigresse du désert réclame ses petits, avec des regards qui auraient fondu les lingots de la Banque de France.

— Mais, lui dit le caissier, M. Raphaël est venu les toucher tout à l’heure, avec un mot de vous ; il avait même votre reçu, que j’ai enregistré, comme vous voyez.

— Ah ! cria seulement la vieille funambule. Bien que cette syllabe eût pu être prise par le caissier comme exprimant une approbation, l’enfer sait ce qu’elle contenait de suprême misère et de rage épouvantée.

Hébé sortit. Une heure après, comme je me disposais à me mettre à table, on introduisit près de moi une mégère affublée de haillons sordides. C’était la portière de la maison où demeurait Hébé Caristi. Elle m’apprit que cette malheureuse femme allait mourir et demandait à me voir encore une fois.

Arrivée à une masure infecte de la rue de Venise, je montai, sur les indications du vieux savetier ivre qui gardait cet antre. Quand je fus au haut de l’escalier de pierre, taillé à vis, quand j’eus lâché la corde graisseuse qui servait de rampe, j’entrai dans une petite antichambre sans meubles. Ce cabinet, tendu d’un papier en lambeaux, précédait le galetas où expirait la funambule.

Là, involontairement je m’arrêtai, car j’entendis une discussion ardente dans laquelle se mêlaient deux voix. L’une était douce et hypocrite, l’autre violente, énergi-