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vieille funambule avait attiré beaucoup de monde au Cirque ; Paris, qui sait tout, savait son histoire, et on était curieux de savoir jusqu’où va l’héroïsme désespéré. Quand je vis Hébé coiffée du casque d’or, cuirassée d’écailles, toute ruisselante d’émail, d’argent et d’écarlate, fagotée dans son cher costume de Pallas, elle me parut rajeunie de dix ans : son visage était éclairé, elle songeait au billet de cinq cents francs qu’elle sentirait frissonner dans sa main en descendant de la corde roide !

» Mais sa fatigue était excessive ; elle toussait, crachait le sang ; elle s’évanouit trois fois pendant le quart d’heure qui précéda son apparition. Ces évanouissements n’avaient rien de pareil à tous ceux que j’ai vus. Habituellement, lorsqu’une personne tombe en syncope, on sent que sa vie est suspendue, mais seulement pour un temps ; chez Hébé, c’était une véritable mort, complète, absolue. On eût dit qu’elle était depuis bien des années un cadavre auquel les enchantements d’un magicien avaient prêté les apparences de la vie, et que, le sortilége fini, elle redevenait la proie légitime du trépas. Son cœur ne battait plus d’une manière appréciable ; son haleine ne ternissait pas le miroir collé sur ses lèvres ; elle était blanche, glacée et rigide.

— » Madame, lui dit le médecin du théâtre, lorsqu’elle revint à elle pour la dernière fois, vous ne pouvez monter sur la corde aujourd’hui, et surtout, moi, je ne dois pas le permettre. Comprenez que je ne puis assumer cette grave responsabilité.

» La vieille Hébé fit un bond sauvage, comme si elle eût été mordue par une tarentule.

— » Malheureux, s’écria-t-elle, c’est toi qui veux ma mort ! Puis, avec un sourire funèbre : Allons, mon petit