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nille m’est affreusement chère ! Ce qu’on affirme être si peu de chose en amour, cette joie matérielle et grossière que ressentent également la vachère et la déesse, ces plaisirs des sens auxquels il faut bien que les plus belles paroles aboutissent, car les plus subtiles abstractions de quintessence n’ont encore rien trouvé de mieux que le baiser ; ce spasme d’une seconde, définitif et suprême, que le roi Louis XV aurait voulu prolonger pendant des heures, oubliant, en sa légère pensée, que si on employait l’or à en faire les pavés des rues, il ne serait plus bon à faire des joyaux ; ces mystérieuses délices où la Vie et la Mort se confondent, et nous emportent, d’un accablant coup d’aile, au delà de notre être sensibilisé et transfiguré, me paraissent être ce qu’il y a de meilleur sur la terre, où d’ailleurs rien autre chose, à ce que je crois, n’existe réellement. Ne pensez-vous pas comme moi ?

— Hélas ! dit tristement madame Joannon, sur ce point je manque malheureusement d’informations, et ces enchantements, dont le souvenir vous transporte, je n’en pourrais guère parler que comme un aveugle des couleurs.

— Oh ! pauvre petite ! dit madame Orélia avec une sincère commisération. Quoi, se peut-il ! vous avez mordu avidement les savoureuses