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nille et des paysages vaporeux pour l’exportation s’offrent cyniquement à lui, comme des courtisanes ; mais il n’écoute rien et va droit au meuble de Sagne.

— « Voilà, dit-il à Malpièce, un bahut véritablement merveilleux. Envoyez-le moi tout de suite.

— Je ne puis, dit le papetier, le laisser à monsieur le marquis à moins de six mille francs. »

Le marquis tire de son portefeuille six billets de mille francs, les remet au caissier, et sort en disant à Malpièce :

— « Un pareil objet n’est jamais cher ! »

L’ouvrier est resté dans son coin, silencieux. Un moment, les yeux du marquis d’Eveno et les siens se sont rencontrés. Ces deux hommes ont été sur le point de se connaître l’un l’autre ; mais la voix du papetier est venue à temps rompre le charme, et le grand seigneur est parti sans avoir deviné le grand artiste. Une fois qu’il n’est plus là, Sagne fait un effort suprême, et adresse au papetier Malpièce une dernière prière.

— « Monsieur, lui dit-il, pâle comme un linge, puisque l’événement a si bien tourné pour vous, complétez-moi les deux mille francs qui, je vous le jure, me sont indispensables !

— Ah ! fait le marchand impatienté, vous ne serez donc jamais raisonnable ! Quand comprendrez-vous enfin que les affaires sont les affaires ? »

Alors passe dans les prunelles du pauvre homme un de ces éclairs désolés et farouches que nous avons vu