Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de l’Exposition internationale de peinture, et fument avec distinction de légères cigarettes de tabac turc. Le maître de la maison, affable pour tous, complimente l’écrivain de son dernier livre, le banquier de sa plus récente opération financière, et loue avec esprit la dernière pièce du Théâtre-Français, dont la versification discrète lui plaît infiniment. Mais tout à coup une fenêtre s’ouvre avec violence, et donne passage à une vieille à cheveux gris, maigre, noire, cuite par les ans et complètement nue, qui vole, montée à califourchon sur un bâton blanc. Elle descend de sa monture et se jette aux pieds du correct seigneur, avec les démonstrations de l’amour le plus exalté.

— « Qu’est cela, Thieunne Paget ? dit Satan, (car c’est lui.) Je vous avais priée de vous mettre en habit de soirée et de venir en coupé, comme tout le monde, car je ne veux pas choquer les idées modernes, et je désire que désormais nos réunions gardent le cachet de la bonne compagnie. »

Thieunne Paget ne répond rien, mais avec ses grands ongles elle chatouille la poitrine du maître, qui s’apaise, se met à sourire, puis à rire, et enfin à rire si fort que son habit noir en craque et s’évanouit en fumée. Tous les invités laissent de même leur défroque d’emprunt, et se montrent dans un costume initial et farouche. La chambre s’est changée en une clairière que baigne la sombre nuit. Le Roi, couronné de fer, est maintenant assis sur son trône ; les invités fument des cigares de