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fait avec du raisin mûri au soleil. Je veux qu’ils habitent avec leurs femmes et leurs enfants, des logements salubres où passe l’air parfumé, et que les foyers d’infection disparaissent, et que la Fièvre hideuse s’envole de ces masures détruites, et que dans toute la ville rajeunie des fontaines pareilles à celles de l’antique Rome versent une eau pure et limpide. Je veux enfin que le citoyen — fût-il prince ! — accablé par des circonstances surhumaines, abandonné de tous et même, hélas ! de la Loi, trouve le secours de la suprême Justice en s’adressant à son Roi, qui alors doit décider et parler au nom de Dieu même. Et Guildenstern ou Polonius, le ministère qui voudra ce que je veux sera conservé, et celui qui n’y consentira pas sera brisé comme verre ! »

Ainsi se termine le conseil, et en descendant lentement l’escalier de marbre rose, le vieux ministre Léonato dit à un de ses collègues :

— « Dans la dernière guerre, cet homme non seulement a su conduire les corps d’armée et les cohortes ; mais il s’est battu l’épée à la main, comme un soldat, et nous avons vu que de son front troué le sang coulait par une large blessure.

— Oui, répond l’autre, il peut être un Roi, et il le serait, s’il consentait à s’occuper de choses utiles, c’est-à-dire de politique, au lieu de rêver de chimériques progrès, et de vouloir naïvement donner à ses sujets — le bonheur ! »