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— « Oui, dit-il, ne t’étonne pas, je suis en effet le Diable. Vois en bas dans le vague lointain, les campagnes, les cités, les villes, l’absurde forêt des hommes. Veux-tu tout ce qu’il y a là-dedans, l’or, les palais, le repos, le luxe, les parcs pleins d’ombrages et d’eaux vives, des femmes merveilleusement belles, vêtues et parées à souhait, compliquées comme des casse-tête chinois, et la gloire, le laurier, l’Académie, le Journal des Débats, la Revue des Deux Mondes, les éditeurs qui baiseront tes genoux, la Comédie-Française qui t’appartiendra, comme la maison d’Orgon à Tartuffe ? C’est très facile !

— Mais encore, dit Josz, qu’est-ce que ça me coûtera ?

— Oh ! presque rien, répond le Diable. Il ne s’agit que de faire les vers comme…

— Comme qui ? » demande Josz d’une voix ferme, en regardant le Diable entre les deux yeux.

Le tentateur est visiblement embarrassé ; il n’ose pas accoucher du mot indécent. Cependant, il fait comme les dévotes, qui profitent de la minute où monsieur le curé se mouche. Il saisit l’instant où l’ouragan souffle avec sa furie, où les éclairs sillonnent le ciel, où la foudre éclate avec fracas, et au milieu du tumulte des éléments déchaînés, il prononce timidement le nom abominable.

— « Eh bien, non ! dit le poète, c’est trop cher ! J’aime encore mieux les journaux qui ne payent pas, les chambres où il pleut, les femmes initiales, et les biftecks en bois ! »