Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’après Watteau, les Amintes, les Églés et les Silvandres de l’Ile Enchantée causent devant le lac et les montagnes tranquilles qui eux aussi sont devenus réels, et ils regardent avec épouvante des gommeux de Forain et des drôlesses coloriées de Robida, qui évadés de la feuille de papier où ils ont été dessinés, mènent des vies de Polichinelles et de bâtons de chaise.

Un grand coutelas, quittant son fourreau, s’est planté dans le parquet, et la tête de malandrin, sculptée dans le cèdre, qui forme sa poignée, ouvre la bouche et respire avidement. Le lion de cuivre qui, marchant sur des rocailles, traîne une boule d’or sous son pied, et porte sur son dos le tambour qui contient la pendule et sur lequel est posé un oiseau embusqué derrière une guirlande de fleurs, se promène par la chambre avec tout son bagage, et le lion rugit et l’oiseau chante, avec de longs bruits de sonneries. Et les Satyresses de cuivre, qui portent les branches contournées de chandeliers, dansent en agitant lascivement leurs jambes de chèvres. Lorsque Zandre ouvre sa fenêtre, tous ces gens se hâtent, reprennent leurs places, rentrent très docilement dans la vie idéale. Seul, son confrère, le poète chinois, se fait prier. Il grimpe sur la cheminée en maugréant, et avant de se plaquer dans le fond laiteux de la lampe, parmi les feuillages couleur d’aigue-marine, dit à Henri Zandre d’un ton de reproche :

— « Tu avais dit que tu ne reviendrais pas si tôt. Je n’ai pas terminé le poème destiné à ma bien-aimée, et tu