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le sang de la coupe

Nous fondrons sur tes murs comme le vent d’orage,
Enivrés au galop des coursiers triomphants,
Et rien n’arrêtera notre jalouse rage,
Ni les femmes en pleurs, ni les jeunes enfants.

La ville de Priam et toute la Phrygie
Sera comme un palais ceint de rideaux vermeils,
Où, pour nous éclairer comme une aube rougie,
Les frontons enflammés serviront de soleils.

Nous tuerons tes grands bœufs pareils à des colosses,
Et tes moutons de neige et tes boucs aux beaux fronts,
Et nous laisserons prendre aux animaux féroces
Le reste des festins que nous dédaignerons.

Les riches vêtements aux laines mariées,
Où la main d’une femme habile à ces travaux
A fait fleurir partout des couleurs variées,
Nous les étalerons sous les pieds des chevaux.

Ta pourpre couvrira l’airain de nos cuirasses,
Et dans tes coupes d’or nous boirons tes doux vins.
Nos bouffons, prodiguant l’insulte et les menaces,
Forceront à chanter les poëtes divins.

Les filles de tes rois et tes jeunes prêtresses,
Se courbant sous le fouet, comme les blancs taureaux,
Les cheveux sur leurs cous échevelés en tresses,
Laveront nos bras nus teints du sang des héros.