Page:Banville - Œuvres, Le Sang de la coupe, 1890.djvu/128

Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
le sang de la coupe

C’est à peine s’il put, dans la funèbre enceinte,
Lorsque enfin le trépas glaça tes yeux pâlis,
Obtenir par prière un peu de terre sainte
Où tes restes mortels fussent ensevelis !

Les mêmes ennemis qui te jetaient ces fanges
Et qui te condamnaient sur un ton solennel,
T’accablent à l’envi d’honneurs et de louanges
À présent que tu dors du sommeil éternel.

Car à moins que Molière une autre fois renaisse,
Armé du fier regard qui les a tant troublés,
Ils ne redoutent plus que nul les reconnaisse
Sous les habits d’emprunt dont ils sont affublés.

Mais comme on voit soudain frissonner d’épouvante
Les monstres de la nuit sous l’éclair d’un flambeau,
S’ils voyaient devant eux ta figure vivante
Paraître en soulevant la pierre du tombeau,

Combien de ces menteurs montrent pour ta mémoire
Une admiration de luxe et d’apparat,
Qui taxeraient tes vers d’impiété notoire
Et t’iraient dénoncer au prochain magistrat !

Car ils existent tous, ces corrupteurs serviles,
Que tu marquais au front sous leur masque impudent,
Prévoyant que le vice est, dans nos grandes villes,
La lime où la génie use sa forte dent !