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M. le marquis y est, vous lui ferez parvenir ce billet sans demander de réponse ; s’il n’y est pas, vous reviendrez et me rapporterez ma lettre.

— Madame la vicomtesse a quelqu’un dans son salon.

— Ah ! c’est vrai, dit-elle en poussant la porte.

Eugène commençait à se trouver très mal à l’aise, il aperçut enfin la vicomtesse qui lui dit d’un ton dont l’émotion lui remua les fibres du cœur :

— Pardon, monsieur, j’avais un mot à écrire, je suis maintenant tout à vous.

Elle ne savait ce qu’elle disait, car voici ce qu’elle pensait : « Ah ! il veut épouser mademoiselle de Rochefide. Mais est-il donc libre ? Ce soir ce mariage sera brisé, ou je… Mais il n’en sera plus question demain. »

— Ma cousine… répondit Eugène.

— Hein ? fit la vicomtesse en lui jetant un regard dont l’impertinence glaça l’étudiant.

Eugène comprit ce hein ? Depuis trois heures il avait appris tant de choses, qu’il s’était mis sur le qui-vive.

— Madame…, reprit-il en rougissant. Il hésita, puis il dit en continuant :

— Pardonnez-moi ; j’ai besoin de tant de protection qu’un bout de parenté n’aurait rien gâté.

Madame de Beauséant sourit, mais tristement : elle sentait déjà le malheur qui grondait dans son atmosphère.

— Si vous connaissiez la situation dans laquelle se trouve ma famille, dit-il en continuant, vous aimeriez à jouer le rôle d’une de ces fées fabuleuses qui se plaisaient à dissiper les obstacles autour de leurs filleuls.