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offririez toutes les femmes de la terre, ils s’en moquent, ils ne veulent que celle qui satisfait leur passion. Souvent cette femme ne les aime pas du tout, vous les rudoie, leur vend fort cher des bribes de satisfactions ; eh bien, mes farceurs ne se lassent pas, et mettraient leur dernière couverture au mont-de-piété pour lui apporter leur dernier écu. Le père Goriot est un de ces gens-là. La comtesse l’exploite parce qu’il est discret ; et voilà le beau monde ! Le pauvre bonhomme ne pense qu’à elle. Hors de sa passion, vous le voyez, c’est une bête brute. Mettez-le sur de chapitre-là, son visage étincelle comme un diamant. Il n’est pas difficile de deviner ce secret-là. Il a porté ce matin du vermeil à la fonte, et je l’ai vu entrant chez le papa Gobseck, rue des Grès. Suivez bien ! En revenant, il a envoyé chez la comtesse de Restaud ce niais de Christophe qui nous a montré l’adresse de la lettre dans laquelle était un billet acquitté. Il est clair que, si la comtesse allait aussi chez le vieil escompteur, il y avait urgence. Le père Goriot a galamment financé pour elle. Il ne faut pas coudre deux idées pour voir clair là dedans. Cela vous prouve, mon jeune étudiant, que, pendant que votre comtesse riait, dansait, faisait ses singeries, balançait ses fleurs de pêcher et pinçait sa robe, elle était dans ses petits souliers, comme on dit, en pensant à ses lettres de change protestées, ou à celles de son amant.

— Vous me donnez une furieuse envie de savoir la vérité. J’irai demain chez madame de Restaud, s’écria Eugène.

— Oui, dit Poiret, il faut aller demain chez madame de Restaud.