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Mademoiselle Taillefer avait à peine écouté, tant elle était préoccupée par la tentative qu’elle allait faire. Madame Couture lui fit signe de se lever pour aller s’habiller. Quand les deux dames sortirent, le père Goriot les imita.

— Eh bien, l’avez-vous vu ? dit madame Vauquer à Vautrin et à ses autres pensionnaires. Il est clair qu’il s’est ruiné pour ces femmes-là.

— Jamais on ne me fera croire, s’écria l’étudiant, que la belle comtesse de Restaud appartienne au père Goriot.

— Mais, lui dit Vautrin en l’interrompant, nous ne tenons pas à vous le faire croire. Vous êtes encore trop jeune pour bien connaître Paris ; vous saurez plus tard qu’il s’y rencontre ce que nous nommons des hommes à passions…

À ces mots, mademoiselle Michonneau regarda Vautrin d’un air intelligent. Vous eussiez dit un cheval de régiment entendant le son de la trompette.

— Ah ! ah ! fit Vautrin en s’interrompant pour lui jeter un regard profond, que nous n’avons néu nos petites passions, nous ?

La vieille fille baissa les yeux comme une religieuse qui voit des statues.

— Eh bien, reprit-il, ces gens-là chaussent une idée et n’en démordent pas. Ils n’ont soif que d’une certaine eau prise à une certaine fontaine, et souvent croupie ; pour en boire, ils vendraient leurs femmes, leurs enfants ; ils vendraient leur âme au diable. Pour les uns, cette fontaine est le jeu, la Bourse, une collection de tableaux ou d’insectes, la musique ; pour d’autres, c’est une femme qui sait leur cuisiner des friandises. À ceux-là, vous leur