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en se servant abondamment du mouton et se coupant un morceau de pain que madame Vauquer mesurait toujours du coin de l’œil.

— Une aventure ? dit Poiret.

— Eh bien, pourquoi vous en étonneriez-vous, vieux chapeau ? dit Vautrin à Poiret. Monsieur est bien fait pour en avoir.

Mademoiselle Taillefer coula timidement un regard sur le jeune étudiant.

— Dites-nous votre aventure, demanda madame Vauquer.

— Hier, j’étais au bal chez madame la vicomtesse de Beauséant, une cousine à moi, qui possède une maison magnifique, des appartements habillés de soie, enfin qui nous a donné une fête superbe, où je me suis amusé comme un roi…

— Telet, dit Vautrin en interrompant net.

— Monsieur, reprit vivement Eugène, que voulez-vous dire ?

— Je dis telet, parce que les roitelets s’amusent beaucoup plus que les rois.

— C’est vrai : j’aimerais mieux être ce petit oiseau sans souci que roi, parce que…, fit Poiret l’idémiste.

— Enfin reprit l’étudiant en lui coupant la parole, je danse avec une des plus belles femmes du bal, une comtesse ravissante, la plus délicieuse créature que j’aie jamais vue. Elle était coiffée avec des fleurs de pêcher, elle avait au côté le plus beau bouquet de fleurs, des fleurs naturelles qui embaumaient ; mais, bah ! il faudrait que vous l’eussiez vue, il est impossible de peindre une femme animée par la danse. Eh bien, ce matin, j’ai rencontré