Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs, j’y vais pour vous aussi. Je vous attends. Si vous n’étiez pas près de moi dans deux heures, je ne sais si je vous pardonnerais cette félonie. »

Rastignac prit une plume et répondit ainsi :

« J’attends un médecin pour savoir si votre père doit vivre encore. Il est mourant. J’irai vous porter l’arrêt, et j’ai peur que ce ne soit un arrêt de mort. Vous verrez si vous pouvez aller au bal. Mille tendresses. »

Le médecin vint à huit heures et demie, et, sans donner un avis favorable, il ne pensa pas que la mort dût être imminente. Il annonça des mieux et des rechutes alternatives d’où dépendraient la vie et la raison du bonhomme.

— Il vaudrait mieux qu’il mourût promptement, fut le dernier mot du docteur.

Eugène confia le père Goriot aux soins de Bianchon, et partit pour aller porter à madame de Nucingen les tristes nouvelles qui, dans son esprit encore imbu des devoirs de famille, devaient suspendre toute joie.

— Dites-lui qu’elle s’amuse tout de même, lui cria le père Goriot qui paraissait assoupi, mais qui se dressa sur son séant au moment où Rastignac sortit.

Le jeune homme se présenta navré de douleur à Delphine, et la trouva coiffée, chaussée, n’ayant plus que sa robe de bal à mettre. Mais, semblables aux coups de pinceau par lesquels les peintres achèvent leurs tableaux, les derniers apprêts voulaient plus de temps que n’en demandait le fond même de la toile.