Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/298

Cette page a été validée par deux contributeurs.

douze mille francs par les fenêtres. Le comte de Trailles est joueur. Ma sœur ne veut pas voir ça. Il aurait été chercher ses douze mille francs là où il sait perdre ou gagner des monts d’or.

Un gémissement les fit revenir chez Goriot, qu’ils trouvèrent en apparence endormi ; mais quand les deux amants s’approchèrent, ils entendirent ces mots :

— Elles ne sont pas heureuses !

Qu’il dormit ou qu’il veillât, l’accent de cette phrase frappa si vivement le cœur de sa fille, qu’elle s’approcha du grabat sur lequel gisait son père et le baisa au front. Il ouvrit ses yeux en disant :

— C’est Delphine !

— Eh bien ! comment vas-tu ? demanda-t-elle.

— Bien, dit-il. Ne sois pas inquiète, je vais sortir.

Allez, allez, mes enfants, soyez heureux.

Eugène accompagna Delphine jusque chez elle ; mais, inquiet de l’état dans lequel il avait laissé Goriot, il refusa de dîner avec elle, et revint à la maison Vauquer. Il trouva le père Goriot debout et prêt à s’attabler. Bianchon s’était mis de manière à bien examiner la figure du vermicellier. Quand il lui vit prendre son pain et le sentir pour juger de la farine avec laquelle il était fait, l’étudiant, ayant observé dans ce mouvement une absence totale de ce que l’on pourrait nommer la conscience de l’acte, fit un geste sinistre.

— Viens donc près de moi, monsieur l’interne à Cochin, dit Eugène.

Bianchon s’y transporta d’autant plus volontiers qu’il allait être près du vieux pensionnaire.