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— Ne me taquine pas, Delphine, dit la comtesse d’une voix lamentable. Je suis bien malheureuse, je suis perdue, mon pauvre père ! oh ! bien perdue cette fois !

— Qu’as-tu, Nasie ? cria le père Goriot. Dis-nous tout, mon enfant. Elle pâlit ! — Delphine, allons, secours-la donc, sois bonne pour elle, je t’aimerai encore mieux, si je peux, toi !

— Ma pauvre Nasie, dit madame de Nucingen en asseyant sa sœur, parle. Tu vois en nous les deux seules personnes qui t’aimeront toujours assez pour te pardonner tout. Vois-tu, les affections de famille sont les plus sûres.

Elle lui fit respirer des sels, et la comtesse revint à elle.

— J’en mourrai ! dit le père Goriot. Voyons, reprit-il en remuant son feu de mottes, approchez-vous toutes les deux. J’ai froid. Qu’as-tu, Nasie ? Dis vite, tu me tues…

— Eh bien ! dit la pauvre femme, mon mari sait tout. Figurez-vous, mon père, il y a quelque temps, vous souvenez-vous de cette lettre de change de Maxime ? Eh bien ! ce n’était pas la première. J’en avais déjà payé beaucoup. Vers le commencement de janvier, M. de Trailles me paraissait bien chagrin. Il ne me disait rien ; mais il est si facile de lire dans le cœur des gens qu’on aime, un rien suffit : puis il y a des pressentiments. Enfin il était plus aimant, plus tendre que je ne l’avais jamais vu, j’étais toujours plus heureuse. Pauvre Maxime ! dans sa pensée, il me faisait ses adieux, m’a-t-il dit : il voulait se brûler la cervelle ! Enfin je l’ai tant tourmenté, tant supplié, je suis restée deux heures à ses genoux… Il m’a dit qu’il devait cent mille francs ! Oh ! papa, cent mille francs ! Je