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ouvrant la glace de devant. Allez donc plus vite, je vous donnerai cent sous pour boire si vous me menez en dix minutes là où vous savez.

En entendant cette promesse, le cocher traversa Paris avec la rapidité de l’éclair.

— Il ne va pas, ce cocher, disait le père Goriot.

— Mais où me conduisez-vous donc ? lui demanda Rastignac.

— Chez vous, dit le père Goriot.

La voiture s’arrêta rue d’Artois. Le bonhomme descendit le premier et jeta dix francs au cocher, avec la prodigalité d’un homme veuf qui, dans le paroxysme de son plaisir, ne prend garde à rien.

— Allons, montons, dit-il à Rastignac en lui faisant traverser une cour et le conduisant à la porte d’un appartement situé au troisième étage, sur le derrière d’une maison neuve et de belle apparence.

Le père Goriot n’eut pas besoin de sonner. Thérèse, la femme de chambre de madame de Nucingen, leur ouvrit la porte. Eugène se vit dans un délicieux appartement de garçon, composé d’une antichambre, d’un petit salon, d’une chambre à coucher et d’un cabinet ayant vue sur un jardin. Dans le petit salon, dont l’ameublement et le décor pouvaient soutenir la comparaison avec ce qu’il y avait de plus joli, de plus gracieux, il aperçut, à la lumière des bougies, Delphine, qui se leva d’une causeuse, au coin du feu, mit son écran sur la cheminée, et lui dit avec une intonation de voix chargée de tendresse :

— Il a donc fallu vous aller chercher, monsieur qui ne comprenez rien !