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laquelle elle devait opérer la vérification de la marque. Au geste de contentement que fit le grand homme de la petite rue Sainte-Anne, en cherchant une fiole dans le tiroir de son bureau, mademoiselle Michonneau devina qu’il y avait dans cette capture quelque chose de plus important que l’arrestation d’un simple forçat. À force de se creuser la cervelle, elle soupçonna que la police espérait, d’après quelques révélations faites par les traîtres du bagne, arriver à temps pour mettre la main sur des valeurs considérables. Quand elle eut exprimé ses conjectures à ce renard, il se mit à sourire, et voulut détourner les soupçons de la vieille fille.

— Vous vous trompez, répondit-il. Collin est la sorbonne la plus dangereuse qui jamais se soit trouvée du côté des voleurs. Voilà tout. Les coquins le savent bien ; il est leur drapeau, leur soutien, leur Bonaparte enfin ; ils l’aiment tous. Ce drôle ne nous laissera jamais sa tronche en place de Grève.

Mademoiselle Michonneau ne comprenant pas, Gondureau lui expliqua les deux mots d’argot dont il s’était servi. Sorbonne et tronche sont deux énergiques expressions du langage des voleurs, qui, les premiers, ont senti la nécessité de considérer la tête humaine sous deux aspects. La sorbonne est la tête de l’homme vivant, son conseil, sa pensée. La tronche est un mot de mépris destiné à exprimer combien la tête devient peu de chose quand elle est coupée.

— Collin nous joue, reprit-il. Quand nous rencontrons de ces hommes en façon de barres d’acier trempées à l’anglaise, nous avons la ressource de les tuer si, pen-