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dame, dit-il à voix basse et se penchant à l’oreille de la veuve, je ne puis m’empêcher de penser que Dieu les a créés pour être l’un à l’autre. La Providence a des voies bien cachées, elle sonde les reins et les cœurs, s’écria-t-il à haute voix. En vous voyant unis, mes enfants, unis par une même pureté, par tous les sentiments humains, je me dis qu’il est impossible que vous soyez jamais séparés dans l’avenir. Dieu est juste. — Mais, dit-il à la jeune fille, il me semble avoir vu chez vous des lignes de prospérité. Donnez-moi votre main, mademoiselle Victorine ; je me connais en chiromancie, j’ai dit souvent la bonne aventure. Allons, n’ayez pas peur. Oh ! qu’aperçois-je ? Foi d’honnête homme, vous serez avant peu l’une des plus riches héritières de Paris. Vous comblerez de bonheur celui qui vous aime. Votre père vous appelle auprès de lui. Vous vous mariez avec un homme titré, jeune, beau, qui vous adore.

En ce moment, les pas lourds de la coquette veuve qui descendait interrompirent les prophéties de Vautrin.

— Voilà mamman Vauquerre belle comme un astrrre, ficelée comme une carotte. — N’étouffons-nous pas un petit brin ? lui dit-il en mettant sa main sur le haut du busc ; les avant-cœurs sont bien pressés, maman. Si nous pleurons, il y aura explosion ; mais je ramasserai les débris avec un soin d’antiquaire.

— Il connaît le langage de la galanterie française, celui-là ! dit la veuve en se penchant à l’oreille de madame Couture.

— Adieu, enfants, reprit Vautrin en se tournant vers Eugène et Victorine. Je vous bénis, leur dit-il en leur