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sorte d’impatience. Pour un jeune homme, il existe dans sa première intrigue autant de charmes peut-être qu’il s’en rencontre dans un premier amour. La certitude de réussir engendre mille félicités que les hommes n’avouent pas, et qui font tout le charme de certaines femmes. Le désir ne naît pas moins de la difficulté que de la facilité des triomphes. Toutes les passions des hommes sont bien certainement excitées ou entretenues par l’une ou l’autre de ces deux causes, qui divisent l’empire amoureux. Peut-être cette division est-elle une conséquence de la grande question des tempéraments, qui domine, quoi qu’on en dise, la société. Si les mélancoliques ont besoin du tonique des coquetteries, peut-être les gens nerveux ou sanguins décampent-ils si la résistance dure trop. En d’autres termes, l’élégie est aussi essentiellement lymphatique que le dithyrambe est bilieux. En faisant sa toilette, Eugène savoura tous ces petits bonheurs dont n’osent parler les jeunes gens, de peur de se faire moquer d’eux, mais qui chatouillent l’amour-propre. Il arrangeait ses cheveux en pensant que le regard d’une jolie femme se coulerait sous leurs boucles noires. Il se permit des singeries enfantines autant qu’en aurait fait une jeune fille en s’habillant pour le bal. Il regarda complaisamment sa taille mince, en déplissant son habit.

— Il est certain, se dit-il, qu’on en peut trouver de plus mal tournés !

Puis il descendit au moment où tous les habitués de la pension étaient à table, et reçut gaiement le hourra de sottises que sa tenue élégante excita. Un trait des mœurs particulières aux pensions bourgeoises est l’ébahissement