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sionomie, anime le geste, colore la voix. Souvent l’être le plus stupide arrive, sous l’effort de la passion, à la plus haute éloquence dans l’idée, si ce n’est dans le langage, et semble se mouvoir dans une sphère lumineuse. Il y avait en ce moment dans la voix, dans le geste de ce bon homme, la puissance communicative qui signale le grand acteur. Mais nos beaux sentiments ne sont-ils pas les poésies de la volonté ?

— Eh bien ! vous ne serez peut-être pas fâché d’apprendre, lui dit Eugène, qu’elle va rompre sans doute avec ce de Marsay. Ce beau fils l’a quittée pour s’attacher à la princesse Galathionne. Quant à moi, ce soir, je suis tombé amoureux de madame Delphine.

— Bah ! dit le père Goriot.

— Oui. Je ne lui ai pas déplu. Nous avons parlé amour pendant une heure, et je dois aller la voir après-demain samedi.

— Oh ! que je vous aimerais, mon cher monsieur, si vous lui plaisiez. Vous êtes bon, vous ne la tourmenteriez point. Si vous la trahissiez, je vous couperais le cou, d’abord. Une femme n’a pas deux amours, voyez-vous ? Mon Dieu ! mais je dis des bêtises, monsieur Eugène. Il fait froid ici pour vous. Mon Dieu ! vous l’avez donc entendue, que vous a-t-elle dit pour moi ?

— Rien, se dit en lui-même Eugène. — Elle m’a dit, répondit-il à haute voix, qu’elle vous envoyait un bon baiser de fille.

— Adieu, mon voisin, dormez bien, faites de beaux rêves ; les miens sont tout faits avec ce mot-là. Que Dieu vous protège dans tous vos désirs ! Vous avez été pour