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rester ? Nous ferons donc connaissance, madame de Restaud m’avait déjà donné le plus vif désir de vous voir.

— Elle est donc bien fausse, elle m’a fait consigner à sa porte.

— Comment ?

— Madame, j’aurai la conscience de vous en dire la raison ; mais je réclame toute votre indulgence en vous confiant un pareil secret. Je suis le voisin de monsieur votre père. J’ignorais que madame de Restaud fût sa fille. J’ai eu l’imprudence d’en parler fort innocemment, et j’ai fâché madame votre sœur et son mari. Vous ne sauriez croire combien madame la duchesse de Langeais et ma cousine ont trouvé cette apostasie filiale de mauvais goût. Je leur ai raconté la scène, elles en ont ri comme des folles. Ce fut alors qu’en faisant un parallèle entre vous et votre sœur, madame de Beauséant me parla en fort bons termes, et me dit combien vous étiez excellente pour mon voisin, monsieur Goriot. Comment, en effet, ne l’aimeriez-vous pas ? Il vous adore si passionnément que j’en suis déjà jaloux. Nous avons parlé de vous ce matin pendant deux heures. Puis, tout plein de ce que votre père m’a raconté, ce soir en dînant avec ma cousine, je lui disais que vous ne pouviez pas être aussi belle que vous étiez aimante. Voulant sans doute favoriser une si chaude admiration, madame de Beauséant m’a amené ici, en me disant avec sa grâce habituelle que je vous y verrais.

— Comment, monsieur, dit la femme du banquier, je vous dois déjà de la reconnaissance ? Encore un peu, nous allons être de vieux amis.

— Quoique l’amitié doive être près de vous un senti-