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qui nous conduisent au ciel ! » Et songez qu’elle disait toutes ces choses avec le ricanement de la mort.

À la fin, son délire s’apaise ; elle meurt. On la porte au cimetière du village ; et, le lendemain de ce jour funèbre, par un calme midi d’automne, Félix de Vandenesse ouvrit une lettre que lui laissait madame de Mortsauf, dont voici quelques passages : « Je meurs. Ne vous ai-je pas dit que j’étais jalouse, mais jalouse à mourir ? — J’étais mère, il est vrai, mais l’amour ne m’a point environnée de ses plaisirs permis. — Vous souvenez-vous aujourd’hui de vos baisers ? ils ont dominé ma vie, ils ont sillonné mon âme, l’ardeur de votre sang a réveillé l’ardeur du mien. Quand je me suis levée si fière, j’ignorais une sensation pour laquelle je ne sais de mot dans aucune langue, car les enfants n’ont pas encore trouvé des paroles pour exprimer le mariage de la lumière et de leurs yeux, ni le baiser de la vie sur leurs lèvres. — J’étais émue de la tête aux pieds par votre aspect, et je me demandais involontairement : Que doivent être les plaisirs ? — J’ai parfois désiré de vous quelque violence. — Votre nom, prononcé par mes enfants, m’emplissait le cœur d’un sang plus chaud, tant j’aimais les bouillonnements de cette sensation. — Je me disais que je n’avais que vingt-huit ans, et que vous en aviez presque vingt-deux, et je me livrais à de faux espoirs. »

« … Quant à Madeleine, elle se mariera. Puissiez-vous un jour lui plaire ; elle est toute moi-même, et de plus elle est forte. » Ce que lisant, Félix ajoute : Je tombai dans un abîme de réflexions.

Or, madame, après la lecture de cette lettre, qui est tendre, bien que boursouflée ; après cette mort de madame de Mortsauf, qui est une mort douloureuse, malgré les ridicules exagérations sentimentales dont l’auteur a cru l’embellir, que pensez-vous que fasse M. Félix ? D’abord, il a voulu se faire trappiste. « Il est des personnes que nous ensevelissons dans la terre, mais il en est de plus particulièrement chéries qui ont eu notre cœur pour linceul, dont chaque jour le souvenir se mêle à nos palpitations. » Il ne se fait donc pas trappiste, car déjà il se dit tout bas : « Pauvre Henriette ! qui voulait me donner Clochegourde et sa famille ! »

Oui, madame, toute jeune femme, c’est-à-dire toute femme sans cœur que vous êtes, voilà ce que vous n’allez pas croire ! À peine a-t-il lu cette dernière lettre de madame de Mortsauf, que M. Félix retourne à Clochegourde. « Dans ce grand naufrage, j’apercevais une île où je pouvais aborder. » Cette île, c’était Clochegourde. Une belle maison qui rapportait 18,000 livres, et la maîtresse de cette belle maison, Madeleine, « était une brune jeune fille à la taille de peuplier. La santé avait mis sur ses joues le velouté de la pêche, et le long de son cou le soyeux duvet où, comme chez sa mère, se jouait la lumière. » Il prit donc sur-le-champ la résolution d’aller vivre à Clochegourde auprès de Madeleine. Et, en effet, le voilà qui dit à Madeleine, Madeleine toute couverte du deuil de sa mère ! « Chère Madeleine, je vous aime trop, malgré l’aversion que vous me témoignez, pour expliquer à M. de Mortsauf un plan qu’il embrasserait avec ardeur ! » Et Madeleine indignée, Madeleine qui sait que cet homme a tué sa mère, Madeleine qui voit cet homme demander sa main, quand la main de sa mère est à peine refroidie, Madeleine répond à cet homme : « Monsieur ! j’aimerais mieux me jeter dans l’Indre que de me lier