Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il se dresse automatiquement, il fait le salut et va inscrire au comptoir ce qui lui a été demandé.

Cependant l’officier considère la servante avec un redoublement d’attention. Cet examen paraît le calmer et l’adoucir. Le soldat ayant écrit, présente humblement le papier.

— C’est bon, dit l’officier en le lui rendant, va-t’en !

Le soldat fait un nouveau salut, tourne sur ses talons selon l’ordonnance, et sort sans regarder personne, pas même la jolie fille.

À celle-ci l’officier fait un sourire, elle répond en souriant aussi.

— Un bel homme ! pense-t-elle.

Le bel homme s’assied à la place que le soldat occupait. Il demande qu’on lui apporte ce qu’il y a de meilleur dans l’auberge, et il invite la servante à lui tenir compagnie. Elle accepte sans hésitation.

La conversation s’engage entre eux et devient promptement très-intime.

Un étranger se montre à la porte d’entrée. Il est enveloppé dans un grand manteau.

En voyant ce personnage, hommes et femmes tombent à genoux. Quelques-uns inclinent leur front jusqu’à terre.

Pas plus que n’avait fait le soldat, l’officier ne remarque ce qui se passe derrière lui. La séduisante fille d’auberge est en train de l’ensorceler. Dans un moment d’enthousiasme, l’officier s’écrie :

— Tu es divine, je t’emmène. Tu auras un bel appartement où il fait très-chaud.

De loin, le personnage au manteau examine le groupe resté indifférent à sa venue. Comme malgré lui, la fille espiègle attire son attention et sa sympathie. Il s’approche de la table, et, rejetant son manteau en arrière, il reste les bras croisés sur sa poitrine. L’officier jette les yeux sur lui. Aussitôt l’officier se lève en pâlissant, et, s’inclinant très-bas, il balbutie ces mots :

— Ah ! pardon, sire !

— Relève-toi.

De même encore que le soldat, l’officier se relève tout d’une pièce, attendant le bon plaisir du maître. Le maître était occupé à regarder de près la servante ; de son côté, elle considérait avec admiration et sans trembler le tzar tout-puissant.

— Tu peux te retirer, dit celui-ci à l’officier. Je garde cette femme, je lui donnerai un palais !

Ainsi se rencontrèrent pour la première fois Pierre Ier et celle qui devint Catherine de Russie !…

— Eh bien, que dites-vous de mon prologue ? demanda Balzac.

— Très-curieux, très-original ! mais le reste ?

— Sous peu, vous l’aurez. La donnée est intéressante ; vous verrez !… Comme cadre aux événements historiques, je rêve une mise en scène toute nouvelle. La Russie est pour nos théâtres, et principalement pour le vôtre, une mine féconde à exploiter. On y viendra. Au point de vue décoratif et plastique, nous en sommes