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Franche-Comté, 21 décembre 1831. Cet article et le précédent, le premier anonyme et le second signé B (ernard) D (u Grail), sont de Charles de Bernard ; c’est à l’occasion du premier que Balzac lui écrivit la lettre qui se trouve dans sa Correspondance, page 90. Ces deux articles très-intéressants, n’étant pas encore réunis aux œuvres de leur auteur, nous allons les citer ici :

I

Mme de Staël disait : « J’ai besoin d’un premier mot ; » on trouve dans cet aveu l’histoire de la plupart des écrivains d’aujourd’hui. Beaucoup excellent à enluminer le dessin qu’ils ont calqué, modulent avec esprit et élégance sur le thème qu’ils ont emprunté ; bien peu cherchent en eux leurs inspirations. La masse d’esprit qui circule dans la société tue l’originalité individuelle. On vit sur le fond commun, au lieu de travailler sur le sien. Vient-il, à de longs intervalles, quelqu’un de ces hommes forts qui ouvrent eux-mêmes leur route, chacun se jette dans la voie qu’il a frayée, et glane sur sa trace, au lieu de chercher une moisson vierge. Pour combien d’auteurs Walter Scott n’a-t-il pas été le premier mot de madame de Staël ? Sans lui, nous n’aurions ni Cinq-Mars, ni Plik et Plok, ni peut-être Notre-Dame de Paris. Chaque jour le vieux Shakspeare déteint, pâle et décoloré, sur quelque drame de la nouvelle école. Dernièrement, un jeune homme, d’un talent frais et mordant, M. Jules Janin, a usé beaucoup d’esprit à nous donner une contre-épreuve de Sterne. Ce n’est plus, il est vrai, Yorik que nous connaissions, portant culotte noire et perruque poudrée, mais Yorik actuel et rajeuni, avec virgule à la Mazarin et gilet à la Robespierre ; incrédule, blasé, sardonique ; disséquant les misères de la vie avec le soin amoureux et subtil que son aîné mettait à en analyser les petites jouissances. Il y a, entre ces deux types, la distance qui sépare le siècle de Louis XV du nôtre, et les amours à joue rose de Watteau, des cadavres bleus et verts de Delacroix ; cependant c’est toujours Yorik, et le Voyage sentimental renferme l’idée mère de l’Âne mort et de la Confession.

Voici encore un homme de talent qui va demander, au foyer du voisin, une étincelle pour allumer le sien. Cette fois, le voisin, c’est Hoffmann, auteur de génie et d’inspiration, qui a creusé lui-même sa mine, et qui doit faire école. Tant qu’il n’inspirera que des ouvrages comme la Peau de chagrin, nous n’aurons pas à nous plaindre. Il y a originalité dans cette copie, création réelle dans cette imitation. Comme dans Hoffmann, une trame surnaturelle et fantastique s’y déroule au milieu des événements de la vie positive. C’est l’histoire courte, amère, exaltée d’un jeune homme riche de tête et de cœur, pauvre de fortune. Dans une étroite mansarde du pays latin, entre Bichat et la poésie, se consumaient solitairement les vertes années de Raphaël, lorsqu’il devint amoureux d’une femme comme on en a peu vu dans les romans où la sensibilité est une vertu indispensable de l’héroïne, mais comme il s’en rencontre parfois dans le monde. Séduisante, vaine, aristocratique, Fœdora tourne la tête du jeune étudiant. C’est un tableau saisissant que le contraste