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corporations et castes, partis, sectes, courtisans, bourgeois, princes, manants, il a tout fait poser devant lui, tout classé, tout mis en relief. L’œuvre de M. de Balzac, plus logiquement disposée, non moins grandiose, n’était pas moins difficile, et n’est pas moins merveilleusement exécutée. À travers toutes les physionomies pâles et effacées de la noblesse, de la bourgeoisie et du peuple de notre époque, il choisit ces traits fugitifs, ces nuances délicates, ces finesses imperceptibles aux yeux vulgaires ; il creuse ces habitudes, anatomise ces gestes, scrute ces regards, ces inflexions de voix et de visage qui ne disaient rien ou disaient quelque chose à tous, et sa galerie de portraits se déroule féconde, inépuisable, toujours plus complète, souvent dominée par les visages expressifs de ses femmes, conceptions délicates dont rien ne donnerait l’idée, si nous n’avions ces portraits inouïs auxquels Lawrence a donné une âme, et qui sont à eux seuls des traités de physiognomonie. »

Si l’on trouve çà et là quelques taches, une description un peu longue, une analyse un peu minutieuse, une réflexion refroidissante, un coloris trop vermillonné, des préparations trop coquettes, quelques répétitions de mots, quelques périodes verbeuses qui échappent à la luxuriante nature de l’auteur, doit-on lui en faire un bien grand crime ? Pour les voir disparaître, ne doit-on pas attendre l’achèvement de l’édifice ? Alors, certes, le terrain se nettoiera. Quel architecte n’a ses trous de boulins à combler, son dernier grattage à faire ? Alors, comme nous l’avons dit, se produira une vue complète de l’humanité, avec tous ses mouvants tableaux ; les phases de la vie individuelle et sociale, l’histoire des instincts, des sentiments, des passions, l’analyse des erreurs, des intérêts, la peinture des vices, en un mot la physiologie générale de la destinée humaine. Ainsi donc, aux Études de Mœurs la richesse du roman, le luxe des descriptions, les découpures bizarres, la passion à plein cœur, les fleurs à pleines mains, les phases sociales, les maisons de toutes nos villes, tous les styles et tous les genres, en un mot toutes les individualités que nous avons signalées. Cette partie du monument, la plus vaste, la plus ardente, multiple en ses combinaisons, devait occuper principalement la jeunesse de l’auteur. Pour pouvoir aborder de si diverses peintures, ne faut-il pas avoir encore quelques facultés exorbitantes, des idées qui débordent, une fécondante chaleur de cœur ? Ces choses accomplies, l’auteur n’aura-t-il pas fait sur des proportions gigantesques une sorte de speculum mundi ? Jadis Shakespeare s’est, dit-on, proposé dans ses compositions scéniques un semblable but : mais, de son temps, la société n’était-elle pas plus tranchée, conséquemment moins compliquée ? Puis le théâtre exclut d’ailleurs les peines inouïes et les obstacles presque infranchissables que soulèvent les transitions auxquelles Boileau faisait une part si large, que l’absence de ce travail lui donnait une moins grande estime pour le beau livre de la Bruyère. Ainsi, d’abord, et en ne comparant que les communes résistances de la matière à ouvrer, l’auteur d’aujourd’hui a trouvé le problème plus difficile à résoudre ; puis, il le trouve agrandi et d’autant plus rude à entreprendre, qu’il compte autour de lui plus de hauts et solennels devanciers.

Telle est la large base sur laquelle vont s’élever les Études philosophiques. Après avoir accusé dans ses Études de mœurs au dix-neuvième siècle toutes les