Page:Balzac - Une rue de Paris et son habitant, 1845.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Mais tu n’as donc pas dîné ? dit Mme  Marmus dont l’attitude resta celle de l’innocence la plus pure.

— Et avec quoi, Madame ? il avait deux sous ! dit Mme  Adolphe en regardant Mme  Marmus d’un air accusateur.

— Ah ! je suis vraiment bien à plaindre, ma pauvre madame Adolphe ; voilà vingt ans que cela dure, et je n’y suis pas encore faite. Six jours après mon mariage, nous allions un matin sortir de notre chambre pour déjeuner. Monsieur entend le tambour des élèves de l’École polytechnique où il était professeur, il me quitte pour les aller voir passer ; j’avais dix-neuf ans, et, quand je l’ai boudé, vous ne devineriez pas ce qu’il m’a dit ?… il m’a dit : « Mais ces jeunes gens sont la fleur et la gloire de la France !… » Voilà comment mon mariage a commencé. Jugez du reste.

— Comment, Monsieur, est-ce possible ?… demanda Mme  Adolphe indignée.

— Je tiens Sinard ! dit Marmus d’un air triomphal.

— Mais il se laisserait mourir, s’écria Mme  Adolphe.

— Allez lui chercher quelque chose à manger, dit Mme  Marmus ; mais que ne se laisserait-il pas faire !… Ah ! ma bonne madame Adolphe, un savant, voyez-vous, est un homme qui ne sait rien du tout… de la vie, s’entend.

La maladie se calma donc par un cataplasme de fromage d’Italie, que Mme  Adolphe alla chercher, et que le savant s’administra très insouciamment, sans savoir ce qu’il mangeait, car il tenait Sinard !…