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LA BELLE IMPÉRIA MARIÉE.

leuses et auxquelles vindrent les princes italians. Elle avoyt, ce dict-on, ung million d’escuz d’or. Veu l’énormité de ceste somme, ung chascun, loing de blasmer l’Isle-Adam, luy feit force complimens, pour ce que il feut apertement demonstré que ne madame Impéria, ne son ieune espoux, ne songioyent ne l’ung ne l’aultre à ces grans biens, tant la chousette estoyt leur unicque pensier. Le Pape bénit leur mariaige et dit que ce estoyt bel à veoir ceste fin d’une vierge folle, laquelle faisoyt retour à Dieu par voye de mariaige. Ains, pendant ceste extresme nuict où il feut licite à tous veoir la royne de beaulté qui alloyt devenir simple chastelaine au pays de France, il y eut bon numbre de gens qui déplourèrent les nuictées de bons rires, les médianoches, festes masquées, iolys tours, et ces heures molles où chascun luy vuydoyt son cueur ; enfin, eurent regret de toutes les aises qui se trouvoyent chez ceste superfine créature, laquelle parut plus alleschante qu’en aulcun printemps de sa vie, veu que son extresme ardeur chordiale la faisoyt reluire comme soleil. Moult se lamentoyent sur ce qu’elle avoyt la tristifiante phantaisie de finer en femme de bien : à ceulx-ci madame de l’Isle-Adam disoyt en iocquetant que, après vingt-quatre années employées à faire le bien public, elle avoyt bien gaingné de soy reposer ; aulcuns luy remonstrèrent que, pour loing que feust le soleil, ung chascun s’y chauffioyt, tandis que elle ne se monstreroyt plus à eulx : à ceulx-là elle respondit que elle auroyt encore des soubrires pour les seigneurs qui viendroyent veoir comment elle ioueroyt le roole de femme de bien. A ce, l’envoyé angloys dit que elle estoyt capable de tout, mesmes de pousser la vertu au poynct supresme. Elle laissa ung présent à ung chascun de ses amys, de notables sommes aux paouvres et souffreteux de Rome ; puis feit abandon au couvent où debvoyt estre sa fille et à l’ecclise que elle battissoyt des deniers que elle avoyt héritez de la Théodore et qui venoyent dudict cardinal de Raguse.

Alors que les deux espoux s’arroutèrent, ils feurent accompaignez iusques à ung grant bout de chemin par des chevaliers en deuil et voire par le peuple, qui leur feit mille souhbaits de bon heur, pour ce que madame Impéria n’avoyt de rigueur que pour les grans et se monstroyt universellement doulce aux paouvres. Ceste belle royne des amours feust festée ainsy sur son passaige en toutes les villes d’Italie où le bruit de sa conversion se estoyt respandu, et où ung chacun estoyt curieux de veoir ces deux