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LA BELLE IMPÉRIA MARIÉE.

belle par admiration. Le cardinal laissa son héritaige à madame Théodore, que la belle Impéria establit en son hostel, veu que elle s’enfuit de ceste ville de Rome comme d’ung endroict pernicieux où se faisoyent enfans, où elle avoyt failly guaster sa taille amoureuse et ses inclytes perfections, lignes de corps, courbeures du dos, plans délicieux, mignonneries serpentines, qui la boutoyent au-dessus des aultres femmes de la chrestienté autant que le sainct Père est au-dessus des aultres chrestiens. Ains tous ses amans sceurent que par l’ayde de onze docteurs de Padoue, de sept maistres myres de Pavie et de cinq chirurgians venus de toutes parts, qui l’assistèrent en ses couches, elle feut saulvée de tout dommaige. Aulcuns dirent que elle y avoyt gaigné en superfinesse et blancheur de tainct. Ung illustre de l’Eschole de Salerne escripvit à ce proupos ung livre, pour demonstrer l’opportunité d’une couche pour la frescheur, santé, conservation et beaulté des dames. En ce livre trez docte, il feut clair pour les lecteurs que ce qui estoyt plus bel à veoir en madame Impéria estoyt ce que il n’estoyt licite qu’à ses amans resguarder ; cas rare, veu que elle ne se despouilloyt point pour les princes d’Allemaigne ; que elle appelloyt ses margraves, burgraves, électeurs et ducs, comme ung capitaine faict de ses souldards.

Ung chascun sçayt encores que, advenue en l’aage de dix-huict ans, la belle Théodore, pour rachepter la folle vie de sa mère, voulut soy mettre en religion en laissant tous ses biens au couvent des Clairistes. En ceste visée, s’adonna à ung cardinal qui la disposoyt à faire ses dévotions. Ce maulvais bergier trouva son ouaille si magnificquement belle, que il tenta la forcer. La Théodore se tua lors d’ung coup de stylet, pour ne point estre contaminée par ce dessus dict prebstre. Ceste adventure, consignée ez histoires du temps, effraya moult la dicte ville de Rome et feut ung deuil pour tous, tant estoyt aymée la fille de madame Impéria.

Alors ceste noble courtizane affligée retourna en ceste ville de Rome pour y plourer sa paouvre fille ; elle dévalloyt en la trente-neufviesme année de son aage, qui feut, suyvant les autheurs, la saison la plus verde de sa magnificque beaulté, pour ce que tout en elle se treuvoyt lors en poinct de perfection, comme en ung fruict meur. La douleur la feit trez auguste et trez aspre pour ceulx qui luy parloyent d’amour à ceste fin de seicher ses larmes. Le Pape luy-mesme vint en son palais luy bailler aulcunes paroles d’admonition. Ains elle demoura dedans le deuil, disant que elle