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CONTES DROLATIQUES.

une paouvre garse ne peut donner que une foys. Se voyant defflourée sans en recepvoir aulcun advis ne plaisir, elle cria si fort, que les gens occupez ez champs vindrent et feurent prins en tesmoingnaige par la garse, au moment où se voyoyt en elle le desguast faict ez nuicts de nopces chez une nouvelle mariée ; elle plouroyt, se plaingnoyt, disant que ce vieulx cinge intempérant pouvoyt aller violer sa mère à elle, qui n’auroyt rien dict. Le vieulx feit response aux gens de la campaigne, qui levoyent ià leurs serfouettes pour le meurdrir, que il avoyt esté poulsé à se divertir. Ces gens luy obiectèrent avecques raison que ung homme pourroyt bien se divertir sans forcer une pucelle, cas prevostal qui le menoyt droict à la potence, et feut conduict en grant rumeur à la geole de Rouen.

La fille, interroguée par le prevost, déclara que elle dormoyt pour faire quelque chouse, et que elle avoyt creu songier de son amant, avecques lequel elle estoyt en dispute, pour ce que avant le mariaige il soubhaitoyt mesurer sa besongne, et iocquetant en ce resve, elle luy laissoyt veoir si les chouses estoyent bien accomparaigées, à ceste fin que nul mal ne leur advinst à l’ung ou à l’aultre, et maulgré sa deffense, il alloyt plus loing que elle ne luy bailloyt licence d’aller, et, y treuvant plus de mal que de plaisir, elle s’estoyt esveiglée soubz la puissance du Vieulx-par-chemins, qui se estoyt gecté sur elle comme ung cordelier sur ung iambon au desiuchier du quaresme.

Ce pourchaz feit si grant bruit en la ville de Rouen, que le prevost feut mandé par monseigneur le duc, en qui vint ung véhément dezir de sçavoir si le faict estoyt véritable. Sur l’affirmation du prevost, il commanda que le Vieulx-par-chemins feust conduict en son palais, à ceste fin d’oyr quelle deffense il pouvoyt faire. Le paouvre bon homme comparut devant le prince et luy desbagoula naïfvement le maulvais heur qui luy advenoyt par la force et le vœu de la nature, disant que il estoyt comme ung vray iouvencel poulsé par des dezirs trez impérieux ; que jusques en ceste année il avoyt eu des femmes à luy, ains que il ieusnoyt depuis huict mois : que il estoyt trop paouvre pour s’adonner aux filles de ioye ; que les honnestes femmes qui luy faisoyent ceste aumosne avoyent prins en desgout ses cheveulx, lesquels avoyent la feslonie de blanchir maulgré la verdeur de son amour, et que il avoyt esté contrainct à saisir la ioye où elle estoyt par la veue de ceste damnée pucelle, laquelle en s’esten-